Nous portons notre patrie dans nos yeux même en nous éloignant des villes qui nous ont accueillis autre fois .
Chaque rue que nous avons laissé derrière nous murmure encore nos noms, et chaque maison résonne encore des voix que nous n'avons pas pu emporter avec nous.
Nous ne sommes pas partis parce que nous avons voulu ça .
Nous avons été obligés de partir.
On nous a arrachés de nos maison et à la quiétude de nos matins, aux rêves qui grandissaient doucement en nous.
Nous n'avons pas abandonné notre patrie ; nous y vivons toujours !
Mais nous sommes devenus des déracinés à l'intérieur de ses frontières, marchant parmi ses plaies, cherchant un refuge où le cœur puisse respirer sans crainte.
Mais nous ne trouvons aucun havre de paix, et chaque espace où nous nous tournons semble vide.
Dans ce départ que nous n'avions pas choisi, nous n'emportions que des corps tremblants et de lourds souvenirs.
Nous avons laissé des clés accrochées aux portes, des photos accrochées aux murs, des cahiers d'école ouverts sur des leçons inachevées, et des rêves figés en plein milieu de l'histoire !
Et tandis que nous laissions derrière nous ces fragments de nos vies, les maisons s'effondraient les unes après les autres, et les rues qui résonnaient jadis de nos rires devinrent d'étroites voies d'évacuation.
Le silence des rues désertes nous pèse lourdement, nous rappelant ce que nous avons perdu.
Les camps qu'on nous avait présentés comme temporaires sont devenus des lieux permanents, marqués par le temps.
Nos corps y ont trouvé refuge, mais nos cœurs sont restés à la porte de la première maison !
Nous avons frappé, en vain.
Dans ce déracinement constant, nous n'avions qu'une seule compagne : la peur.
Elle s'insinue dans les moindres instants, dans les files d'attente pour le pain, et dans le silence des heures précédant l'aube.
Malgré tout, nous persévérons.
Nous nous soutenons lorsque nous tombons, nous nous accrochons à la lumière qui brille encore en nous et à ce murmure qui résonne : Nous continuerons, nous endurerons quoi qu'il arrive.
Ce que nous demandons est simple, et pourtant sa simplicité est douloureuse : un toit qui ne s'effondre pas, une porte qui ne se brise pas et un enfant qui dort sans connaître la peur.
Nous ne sommes ni des numéros ni des des titres pour les journaux; nous ne sommes pas une histoire racontée aujourd'hui et oubliée demain.
Nous voulons simplement vivre — juste vivre — en paix et dans la dignité, dans la patrie que nous avons aimée et que nous aimons encore malgré tout.
Je marche dans une rue qui autrefois débordait de vie : les magasins étaient ouverts, les enfants riaient, les voisins discutaient. Aujourd'hui, ce n'est plus qu'un cimetière de décombres et de poussière. L'air est chargé de fumée, me pique les yeux et rempli mes poumons d'une odeur de feu et de peur. Chaque pas ravive le souvenir de ce qu'a été cet endroit, et le contraste est insupportable.
Puis je les vois. Des enfants. Certains ont perdu un bras, d'autres une jambe, d'autres encore les deux, mais leurs petits corps se déplacent parmi les débris avec un courage qui semble presque impossible.
Leurs yeux, grands ouverts, interrogateurs, posent des questions qu'aucun enfant ne devrait jamais avoir à poser : Pourquoi moi m Pourquoi ici m Quelqu'un va-t-il me voir ?
Un garçon est assis sur le trottoir, il fait rouler une petite voiture cassée sur les fissures. Son rire est fragile, aigu, mais c'est tout de même un rire. À proximité, une fille se tient en équilibre sur une poutre tombée, ses petits pieds agrippés au bois éclaté comme si sa seule volonté pouvait maintenir le monde en place. Le vent souffle dans les bâtiments détruits, transportant de petits bruits : le battement d'ailes d'un oiseau, le rire d'un enfant, l'aboiement d'un chien, autant de rappels que la vie persiste.
Au milieu de toute cette destruction, un poids énorme m'oppresse la poitrine : colère, impuissance et tristesse à la fois. Comment le monde peut-il continuer comme si de rien n'était alors que la vie de ces enfants s'effondre m Ici, l'innocence a été volée, remplacée par des cauchemars, et les cris sont devenus le langage de la survie.
Je m’assois à côté d'un petit garçon qui essaie de me sourire. Je ne peux pas lui rendre son sourire. Les larmes me montent aux yeux lorsque je réalise que les mots ne peuvent jamais décrire les horreurs dont son âme est témoin. Tout ce que je peux faire, c'est poser doucement ma main sur son épaule et lui murmurer : « Tu n'es pas seul. »
À proximité, une petite fille est assise sur le rebord d'une porte brisée, serrant dans ses mains un morceau de métal tordu comme s'il s'agissait d'un jouet. Nos regards se croisent un instant, et dans son regard, je vois tout un monde d'histoires, un monde déchiré avant même d'avoir commencé. Et pourtant, même ici, la vie refuse de s'éteindre complètement. Des mains se tendent les unes vers les autres. Les enfants partagent des restes de nourriture, se réconfortent mutuellement, murmurent de petites blagues qui ressemblent presque à des chansons. Les plus petits gestes d'attention émergent du chaos, fragiles étincelles d'humanité dans un monde déterminé à l'effacer.
Je continue de marcher, leurs visages gravés dans mon esprit, leur courage dans mon âme. Même si le monde détourne le regard, je me suis promise de ne pas le faire. Chaque vie, même la plus petite, chaque cri, même le plus faible, compte. Leurs histoires méritent d'être rappelées. Leurs rires, leurs larmes, leur survie, autant de preuves que même dans les ruines les plus sombres, la vie insiste pour être vue, ressentie et honorée.